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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 22:49

 

JAPON

 

Nous évitons dans ce blog toutes considérations autres que celles qui relèvent de la vie locale. Tâche parfois frustrante tant l’imbrication des intérêts étalés et la superposition des ambitions se mêlent  et débordent du cadre strict des affaires de Saint-Cyprien ; tant  les comportements locaux que nous dénonçons se nourrissent aux sources mêmes d’un pouvoir plus lointain et s’autorisent des mauvais exemples donnés… L’air du temps…

Nous allons pourtant aujourd’hui, l’espace  de quelques lignes,  déroger à nos principes et sortir du cadre cyprianais.


Comment en effet passer sous silence la terrible catastrophe qui secoue le Japon et inquiète la planète?


Sans tomber dans le misérabilisme, donc le plus simplement possible, disons tout de suite notre sincère, totale et profonde compassion devant « la douleur des hommes ».

Sans tomber dans le manichéisme idéologique, disons également notre tout aussi réelle et profonde répulsion envers ces marchands du temple qui, masqués derrière leurs dividendes,  ont joué de leur influence pour imposer des systèmes fous que leurs victimes acceptent au nom d’un réalisme qui les détruit.

Disons aussi notre mépris envers ceux qui, sans vergogne, raisonnent cyniquement en termes de marché, supputent déjà sur le fabuleux bénéfice qu’ils pourront retirer d’un Japon à reconstruire,  de sources d’énergie à remplacer et à diversifier, se positionnant sur les décombres de villes ravagées et habillant leurs engagements à venir d’une vertu compassionnelle qu’ils ne pratiquent pas.

Disons encore notre désarroi face à la situation de détresse  dans laquelle se trouvent hommes, femmes, enfants et vieillards, tous obscurs, tous perdants habituels et programmés,  tous  sans-grades, désignés et abandonnés à leur  triste sort de victimes résignées, ignorants des enjeux économiques qui ont causé leur perte, ignorants mais pleins de gratitude envers les mains qui se tendent.

Disons enfin notre admiration douloureuse pour ces « liquidateurs » chargés de travailler au plus près des réacteurs en fusion, travailleurs condamnés au nom d’un impératif humanitaire qui leur vaudra une médaille et peut-être une pension… pour leur veuve. C’est le prix de la vie, celle que l’exploitant de la centrale achète pour servir les intérêts supérieurs de son groupe et de ses actionnaires.

Science sans conscience…

Halte là ! s’indigneront certains. Que ferions-nous sans le nucléaire ? Comment nous y prendrions-nous pour assurer l’énergie nécessaire à notre développement, à notre industrie, à nos transports, à nos hôpitaux, à nos villes et villages….

Nous n’avons pas l’intention de mener ici ce débat. De toutes façons, ce sont là arguments classiques mais pertinents si l’on considère l’absence d’alternative immédiate si s’imposait la disparition brutale de ce mode de production d’énergie. Disparition qui ne peut effectivement s’envisager sans véritable révolution dans nos modes de vie de pays riches…

Arguments d’un apparent bon sens qui cependant ont jusqu’à présent servi d’alibi non seulement à l’exploitation des centrales existantes, mais aussi à leur prolifération par leur exportation, au nom bien sûr, de la lutte contre le chômage, au nom des devises à faire rentrer, au nom du bien être à partager avec les pays moins avancés dans la recherche mais…solvables !

 Science sans conscience…

Alors, que faire ? Certainement  résister à la « solidarité internationale des lobbies nucléaires » qui n’hésiteront pas à « tirer les leçons de l’expérience » comme ils disent, relayés par les gouvernements qui parlent, eux, des leçons à tirer par le « retour d’expérience » ; se diriger résolument vers d’autres formes de production d’énergie, tout en continuant à renforcer la surveillance de l’existant, en envisageant tous les risques possibles, même les plus extravagants…

Science avec conscience…

Le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, d’une intensité estimée à 8,7, et le tsunami qui s’ensuivit firent entre 50.000 et 100.000 victimes. Voltaire fit remarquer que si les immeubles avaient été moins hauts, il y aurait eu moins de morts. La catastrophe  qui jusqu’alors était imputée à la colère divine, était ainsi, pour la première fois dans l’histoire, « laïcisée» puisque ses conséquences dépendaient en grande partie de l’homme.

Si pour une large part (tremblement de terre et tsunami) la catastrophe du Japon échappe à la responsabilité directe des hommes (encore que…), la présence de centrales nucléaires en bord de mer et en zone hautement sismique nous renvoie à nos inconséquences et aux enjeux d’intérêts. Il a fallu l’insouciance et le silence du plus grand nombre pour que ces appétits l’emportent, là-bas comme ici. Et lorsque survient la catastrophe, on ne trouve rien de mieux, pour contrer le scandale, que d’invoquer  le ciel, des circonstances exceptionnelles ou l’injustice du sort. Devant les incrédules ou les mauvais esprits, on peut même aller jusqu’à philosopher sur le risque zéro « dont chacun sait qu’il n’existe pas », argument massue qui absout par avance les bavures de l’imprévision ou du laisser-faire.

A défaut de confiance, pour garder cependant quelque espoir en l’action des hommes, il ne reste plus guère que l’appel à l’émotion et à la solidarité, valeurs refuges dont se réclament ceux-là mêmes qui les bafouent.  Soyons en effet assurés que le terme de solidarité sera sur-employé au cours de la très douloureuse et longue période qui s’ouvre devant nous. 

Les medias, les partis politiques, les lobbies vont faire assaut de larmes. Chacun se dédouanera des manquements à ses responsabilités d’informateur, de prévisionniste ou de chasseur de profits. Chacun discourra savamment ; les media verseront dans le pathos, les politiques proposeront un audit, les lobbies des indemnités ; les philosophes en tireront même des préceptes, une morale et écriront des paraboles ! Comme à l’accoutumée…

Et cela ne suffira pas à changer les choses…

Car le temps de la seule émotion n’est pas le temps du citoyen.

Seul le citoyen, c’est-à-dire l’individu conscient de sa place au sein du groupe mais aussi des enjeux collectifs, exerçant son esprit critique mais ouvert à la réflexion et à l’échange, respectueux des autres comme de lui-même, peut participer aux grands choix de société en connaissance de cause, préservant ou replaçant par son action le respect de la Vie au centre du contrat social. Une vie qui ne peut être malmenée ou pire, confisquée, pour des raisons idéologiques ou à cause d’intérêts égoïstes, une vie que chacun est en droit d’aménager au mieux et de mener jusqu’à son terme naturel.


La catastrophe  du Japon nous rappelle brutalement la fragilité de ce droit face à la triviale mécanique de la course aux profits et aux fausses nécessités ainsi que le caractère provisoire des situations acquises. Stupéfiante révélation, précisément parce que le Japon est un pays moderne dont l’expertise technologique était universellement reconnue et donnée en exemple…

 Ces simples constatations devraient nous rendre plus soucieux de la planète et des générations qui suivent. Elles devraient aussi nous mobiliser, en tant que citoyens, sur les enjeux de proximité. Il n’y a pas d’égoïsme en effet à juger et à tenter d’aménager son environnement immédiat suivant les valeurs et des règles favorables à chacun. Par contre, accepter qu’un clan confisque le pouvoir de décider dans son seul intérêt, c’est démissionner.

Or, ce sont souvent les petits renoncements accumulés qui font les catastrophes.

Parabole des petits ruisseaux qui font les grandes rivières.

Résister au lieu de renoncer, c’est refuser le cynisme facile et la pseudo-fatalité. Résister, c’est s’approprier sa propre vie pour la replacer dans un contexte plus large qui lui est nécessaire et lui donne sens ; c’est participer à la construction de ce contexte ; c’est refuser de s’en remettre aveuglément à des systèmes qui oublient l’homme au profit de considérations idéologiques ou financières ; c’est ne pas s’en remettre aveuglément à des spécialistes, qu’ils soient hommes politiques providentiels ou penseurs charismatiques ; c’est ne pas se rendre avant d’avoir combattu.


Une douloureuse et longue période s’ouvre devant nous. Si le citoyen ne s’impose pas, on peut redouter que des troubles n’éclatent ici et là dans les mois qui viennent. Ils seront la conséquence du sentiment d’injustice et d’abandon, de  l’angoisse, du « ras-le-bol », de la misère, du déclassement brutal de certaines populations. Ce seront, si nous n’y prenons garde, des révoltes aux motifs diffus et multiples qui ouvriront grand la porte à des aventurismes politiques.


(Bien sûr, ramenées au microcosme cyprianais, ces considérations générales mettent hors-jeu, en les rendant encore plus insupportables, la superficialité, la suffisance et l’égoïsme étroit des comportements majoritaires. Elles rendent aussi plus indispensable et salutaire le sursaut collectif que nous appelons désormais de nos vœux.)

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Published by Marie-Pierre Sadourny-Gomez